De 1950 à 1960

1950

La SFT a créé, en janvier 1950, un Service de Liaison. Dirigé ab initio et jusqu’à fin 1956 par la traductrice Claude Noël, il assure une prospection active auprès d’organismes et organisations (UNESCO ou OECE, ancêtre de l’OCDE, par exemple), et renseigne sur les offres de travail, fixe ou temporaire, en sa permanence du samedi ou par téléphone… sans commission ni pourcentage sur les sommes perçues pour des traductions procurées par son intermédiaire.

En juillet 1952, dans le N° 1 de la revue Traduire (cf. infra), Claude Noël précisera « … notre Société n’est pas un bureau de traduction, mais un groupement syndical destiné à défendre les intérêts de la profession […] nous nous efforçons, depuis environ deux ans, de mettre nos membres en rapport avec les organismes qui ont des travaux de traduction à effectuer. Cette activité annexe présente un double intérêt : tout en procurant du travail à nos membres, elle sert les vues de la Société, dont elle fait respecter les conditions et les tarifs. ».

 

En septembre 1950, la SFT obtient de la Radio-diffusion Française que le traducteur-adaptateur soit rétribué comme auteur ; s’il adapte lui même pour l’antenne le texte qu’il a traduit, il sera rémunéré doublement, pour sa traduction et pour son adaptation. De plus, toute présentation d’œuvre sera, autant que possible, laissée aux soins du traducteur-adaptateur.

Claude Noël, ardente passionnée

Femme de lettres, Claude Noël fut traductrice, entre autres, de Georges Orwell (Une tragédie Birmane), auteure d’article(8). Son engagement dans la défense de sa profession n’a eu de cesse. Secrétaire administrative à la SFT en 1949, elle en intègre le Comité directeur en 1951, sera la première rédactrice en chef de Traduire, qu’elle transformera en véritable revue savante, sera en charge du Service de Liaison, puis de la Commission littéraire, des relations publiques, secrétaire générale, trésorière et enfin vice-présidente. 24 ans de loyaux services jusqu’à l’année 1973 où elle quitte la SFT pour d’autres aventures. Claude Noël fut nommée, en même temps que Pierre-François Caillé, en janvier 1974, au Conseil supérieur des lettres, et sera chevalier de l’Ordre national du mérite. En 1983, Claude Noël, présidente fondatrice de l’Association des traducteurs littéraires de France faisait encore ce constat aux Assises d’Arles de son association : « Le traducteur littéraire est un éternel exploité. Sa condition est encore une survivance des siècles passés, du temps où l’on traduisait par pur dilettantisme. » Visiblement, la foi ne l’a jamais quittée.

1951

Radiodiffusion toujours

La SFT a intercédé fin 1950 auprès du Ministère de l’information en vue d’intégrer les Commission des Programmes et Comité des Lettres de la Radio-diffusion, en vain. Sur la délicate question des tarifs,  informée par courrier en janvier 1950 des nouveaux barèmes de base (adaptateurs : 500 francs la minute ; traducteurs : jusqu’à 14 minutes, minimum 1 050 francs, maximum 2 100 francs), la SFT s’élève plus que le Syndicat National des Auteurs et Compositeurs, en février 1950, fait quant à lui état d’une sensible amélioration pour la rémunération des auteurs et adaptateurs.

À l’assemblée générale de la SFT en 1951, Pierre Baubaut, secrétaire général, fera cependant un compte rendu positif de l’action menée auprès de la Radio-diffusion Française : « Il nous a donc fallu être patients, tenaces. Voici les points acquis : la Radio-diffusion Française considère le traducteur-adaptateur comme un auteur et le rétribuera selon un tarif de base fixé à 1 000 francs la minute […] II est entendu qu’avant de présenter son œuvre à la Radio-diffusion Française tout adaptateur ou traducteur-adaptateur prendra un contact préalable avec la Société des Gens de Lettres en vue d’obtenir une autorisation d’adaptation. […] L’Association ne pouvait peut-être pas s’imposer du jour au lendemain, mais nous pensons que son essor actuel, la persévérance aidant, lui permettra d’obtenir une revalorisation prochaine des tarifs de la traduction radiophonique ! »

Premier banquet de la Saint-Jérôme

Saint Jérôme, patron des traducteurs (Histoire de la traduction)… C’est en cette année 1951 que fut instituée une tradition en son nom, que Pierre-François Caillé expliquait ainsi : « En exergue à son remarquable ouvrage Sous l’invocation de saint Jérôme, Valery Larbaud, grand écrivain, grand traducteur, cite cette phrase de Sénèque : « Pourquoi ne garderions-nous pas les portraits de ces grands hommes et n’honorerions-nous pas le jour de leur naissance ? »  L’idée nous a séduits et c’était également un double moyen de nous réunir et de prouver la vitalité de notre Association. ». À Paris, le 29 septembre 1951, à la Closerie des Lilas, eut donc lieu le premier banquet de la SFT. Autour de Marcelle Sibon et de Pierre-François Caillé étaient rassemblés la secrétaire générale de la Société des Gens de Lettres de France, le chef du service des Lettres au ministère de l’Éducation nationale, le chef du service des Lettres et des Arts à l’UNESCO, des représentants de la Radiodiffusion française et de la presse, avocats et critiques littéraires. Cordialité, ambiance, menu…: « Notre première saint Jérôme fut une réussite. Une tradition est nouée. Tous nos membres désormais tiendront à la défendre. » dira Pierre-François Caillé, sans se méprendre sur la portée et l’utilité de ce rendez-vous.

Boris Metzel, un départ bien précoce

Né le 6 janvier 1917 en Tchécoslovaquie, naturalisé français le 10 mai 1939, Boris Metzel fut essayiste et traducteur, principalement du russe vers le français. À l’après-guerre, il est surveillé par la police dans le cadre de la lutte contre le communisme mais son activité intellectuelle ne lui vaut aucune poursuite. De fait, touchant l’histoire et la littérature, ses nombreuses traductions du russe sont irréprochables et utiles : Les Contes de ma Patrie d’André Platonov, Le Grand Fleuve de Vladimir Lidine, le Gengis-Khan de Vassili Yan, Staline, d’Emil Ludwig (traduit de l’allemand), une Histoire de la littérature soviétique de Gleb Struve (traduit de l’anglais)… En 1950 et 1951, il écrit deux ouvrages personnels consacrés à Tolstoï (Tolstoï, De quoi vivait Tolstoï). Son activité journalistique s’intéresse à la culture : journaliste à Gavroche en 1945, il signera des critiques cinéma pour Cinémonde, recevra l’amitié de Jean Cocteau, s’intéressera au cinéma de Poudovkine, d’Eisenstein. En 1950, il publie dans Empédocle, mensuel littéraire ayant Albert Camus et René Char à son comité de rédaction, un article sur Les écrivains français devant la critique soviétique. Dans le même numéro, des papiers signés Julien Gracq et Hermann Melville…

Avant son décès prématuré à Paris, le 30 novembre 1951, il venait de signer le bon à tirer d’un magnifique ouvrage, Paris aux yeux du Monde (Éd. des Deux-Rives, 1951), recueil de textes menés avec l’aide de Claude Noël. Cette plume infatigable était aussi homme d’action : il aura occupé les fonctions de secrétaire général de la SFT, au pied-levé au départ de M. Desmarais, ne rechignant pas aux questions pratiques comme celles de la Sécurité sociale, des droits d’auteur, des contrats et sera d’ailleurs nommé, en 1951, directeur administratif de la Société des gens de lettres. Selon Pierre-François Caillé, il fut l’un des concepteurs de la Fédération internationale des traducteurs.

Marcelle Sibon, vice-présidente de la SFT en 1951

L’une de premières tâches de Marcelle Sibon, quand elle intégra la SFT en 1950, fut de constituer une bibliothèque, difficile travail de collecte des œuvres traduites auprès des adhérents, des services de presse des éditeurs, mais bientôt riche de plusieurs centaines de titres… Marcelle Sibon sera nommée en 1951 vice-présidente de la SFT, pour trois ans. Cette traductrice littéraire est en effet l’une des grandes dames de la traduction (l’Académie française lui a décerné le prix Jeanne Scialtel en 1969 pour l’ensemble de son œuvre). Selon elle : « Il n’y a pas d’intraduisible, on peut sinon arriver à faire tout passer, du moins à remplacer…» (9).

Avant Nathanaël West, Walt Whitman ou John O’Hara, elle traduisit tôt, en 1945, Katherine Anne Porter (L’Arbre de Judée), auteure qui s’excusera d’une correspondance dactylographiée auprès d’une amie car « Ma traductrice Marcelle Sibon a décrit mon écriture manuscrite comme des « pattes de mouches »). En 1949, paraissent ses traductions de Robert Louis Stevenson Merveilles, suivi de Le Cas étrange du docteur Jekyll et de Mr. Hyde et autres récits fantastiques ou L’Envers du miroir. En 1950, voici un Jane Eyre de Charlotte Brontë. En 1951, année où elle est nommée est nommée chevalier de la Légion d’honneur, elle a déjà à son actif huit traductions françaises du prolifique Graham Greene, dont Le Troisième homme ou La Puissance et la gloire (Club français du Livre, 1948, préface François Mauriac, traduction primée cette année là du prix Halpérine-Kaminsky). En 1953, elle traduira de l’anglais Vladimir Nabokov (Nikolaï Gogol) et assurera trente ans plus tard la traduction de Machenka, tout premier roman de l’auteur. Marcelle Sibon, qui s’est attaquée à Shakespeare (Beaucoup de bruit pour rien, La Mégère apprivoisée), à Charles Dickens (Barnabé Rudged, Nicolas Nickleby, paru dans la Pléiade en 1966), est également, entre autres, traductrice de Han Suyin et de Morris West.
Marcelle Sibon, devenue présidente d’honneur de la SFT en 1973, décèdera le 16 janvier 1980. 

Un procès retentissant

En mars 1952, alors traductrice réputée et vice-présidente la SFT, Marcelle Sibon est citée par un fait divers dans Le Droit d’auteur, vénérable revue de l’Union internationale pour la protection littéraire et artistique (Berne) : « Un récent procès jugé en France a fait dire au tribunal* saisi du litige que la rémunération du traducteur par un pourcentage sur la vente n’était pas usuelle. Cette appréciation a suscité une vive protestation de la part de plusieurs traducteurs réputés. Alézi Hella (traducteur de Remarque et Kayserling), Marcelle Sibon (traductrice de Graham Greene), Pierre-François Caillé (traducteur de Margaret Mitchell) ont présenté au tribunal des photocopies de plus de 200 contrats dans lesquels les honoraires des traducteurs étaient stipulés en tantièmes sur la vente des exemplaires […] le procès sera repris. Il présente une incontestable importance de principe pour les traducteurs dont le travail, difficile et obscur, quoique passionnant quand on l’approfondit, est souvent rétribué d’une façon tout à fait insuffisante. » Marcelle Sibon, déjà au faîte de sa gloire, défendait donc dans les plus simples prétoires la cause et la rémunération de ses confrères.

* Ce jugement du tribunal de Grasse impliquait Virgil Gheorghiu, l’auteur de La Vingt-Cinquième Heure (Plon, 1949) et sa traductrice, Monique Saint-Côme, membre de la SFT.

1952

Premier numéro de la revue Traduire

Pierre Baubaut, professeur d’anglais, membre de la première heure, puis Secrétaire général de la SFT de 1951 à 1955 (il est alors celui de la FIT), sera le premier directeur de la publication de la revue Traduire (N° 1 du n° 15 juillet 1952), dont le rédacteur en chef est Maurice Voituriez. Il aura ces mots d’introduction : « Notre ancien bulletin n’est plus […] Modestement et courageusement, il a rempli son rôle, parfois obscur, toujours utile […] Il appartient  désormais a la période des pionniers. Nous amplifions et élargissons notre action ; aussi, au moment où nous devenons la  Société Française des Traducteurs, où la F.I.T. est en gestation, au moment où nous sommes en pleine évolution, avons-nous tenu à saluer nos cinq années d’existence et de lutte en créant un organe qui soit l’expression de notre vitalité. ». Le premier numéro inclut des comptes rendus d’activité de la SFT, détaillant plusieurs points pratiques, ainsi qu’un contrat-type traducteur-éditeur.

Près de 15 ans plus tard, un article du Monde daté du 27 mars 1968, disait : « La S.F.T. publie un intéressant organe trimestriel sous le titre Traduire. Après des débuts modestes, cette publication, dirigée avec compétence par Claude Noël, est devenue une revue vivante, fort bien documentée, qui contient des articles sur les multiples aspects de la traduction, des notes de lecture, une rubrique divertissante sur " Les gaîtés de la traduction ", un courrier des lecteurs et les renseignements de terminologie littéraire et scientifique. On lira par exemple, dans les derniers numéros, une étude sur le langage pétrolier, le texte d’une conférence sur les manuscrits de la mer Morte et une interview de J. de Beer sur l’adaptation à la télévision des pièces étrangères. » Traduire est aujourd’hui une revue semestrielle, en lien direct avec l’actualité de la traduction et de l’interprétation, qui se lit sur papier ou en ligne. Depuis 2019, un PDF de chaque numéro est offert aux adhérents de la SFT.

1953

Création de la Fédération internationale des traducteurs (FIT)

C’est dans un petit bistrot du Quartier Latin, à Paris, qu’ils se réunirent pour envisager un groupement international des traducteurs, interprètes et de terminologues. Il y avait, autour de Pierre-François Caillé, Boris Metzel, Pierre Baubaut, qui en sera le premier secrétaire général, Edmond Cary (voir infra).… Des demandes de soutien aux personnalités et organismes sont envoyées, les réponses tardent à arriver mais, finalement, en décembre 1953, dans les salons de l’hôtel Majestic alors occupé par l’UNESCO, se tint l’assemblée constitutive de la FIT, réunissant Espagne, Italie, Allemagne fédérale, Norvège, Turquie, France. L’année suivante, au Congrès de Paris, organisé dans un amphithéâtre de la Sorbonne, Yougoslavie, Canada et Grande-Bretagne les rejoindront, ainsi que des observateurs venus du Japon et des Etats-Unis d’Amérique. « Nous commencions […] à prendre un peu d’élan » commentera Pierre-François Caillé, qui dira également, en 1959, au 3e congrès de la FIT, à Bad Godesberg (et 2e Congrès de la traduction) (10) : « En 1956, à Rome, notre deuxième congrès, doublé du premier Congrès de la Traduction, fut consacré, en majeure partie, au problème vital du droit d’auteur. La FIT sortie grandie de ce congrès […] Hier la FIT comprenait six pays, aujourd’hui, à Bad Godesberg, elle en compte une vingtaine. ». 67 ans après sa naissance, la FIT est présente dans 55 pays.

Edmond Cary

Le 24 janvier 1966, un Boeing d’Air India en provenance de Bombay s’écrase avant d’atteindre Genève, dans le massif du Mont-Blanc. Là où, 16 ans plus tôt, un autre avion, le Malabar Princess, s’est également crashé. Parmi les 117 victimes du drame figure Edmond Cary, qui rentre de New Dehli et d’un colloque avec les traducteurs d’Extrême-Orient. Brillant interprète, traducteur, co-fondateur de la SFT, dont il fut secrétaire général et vice-président, co-fondateur de la revue internationale Babel (voir infra), Edmond Cary occupait alors une place exceptionnelle dans le monde de la traduction.

 

Né le 2 août 1912 à Saint-Petersbourg, il est fils d’une famille d’intellectuels russe (sa mère est actrice, son père Eugène est professeur, critique musical et théâtral, maître d’échecs et chroniqueur spécialisé ayant publié plusieurs ouvrages de référenc(11). De son vrai nom Cyrille Znosko-Borovski (le diminutif Kyra servira d’anagramme pour un nom d’usage francisé, Edmond Cary), il étudie en France, après l’arrivée de sa famille suivant la révolution bolchévique, les lettres, puis les sciences politiques. Pendant la guerre, entré dans la résistance, il sera dénoncé et interné à Fresnes en 1944, mais survivra au conflit. Dès la Libération il travaille comme interprète indépendant (le jour de sa mort, il est interprète permanent pour l’UNESCO), bénéficiant de la montée en puissance de l’interprétation de conférence, qui impose le russe comme langue clé en bien des cénacles. « Nous sommes à l’âge de la traduction... Le monde moderne apparaît comme une immense machine à traduire » dit-il lui mêm(12). Cary va signer plusieurs ouvrages traduits – Ardeur profonde de Dorothy James Roberts (traduit de l’américain), Les Libertés politiques en U.R.S.S., de S. Lesnik (1947), Tournant décisif, livre historique de Boris Tchirskov sur Stalingrad ou Les Organes supérieurs du pouvoir en U.R.S.S. (d’A. Askerov, 1948), Léon Tolstoï, mon père (1956), avec Alexandra Tolstoï, puis Comment mon père écrivit "Guerre et paix" (1957) – et collaborer à diverses revues littéraires  (Diogène, La Parisienne, La Nouvelle Critique).

Parfaitement bilingue, maîtrisant tout autant l’allemand et l’italien et initié au mandarin par amour pour la poésie chinoise, Edmond Cary ne fit pas que trouver sa place en tant qu’interprète ou traducteur : il voulut donner des lettres de noblesse à sa professio(13). Dans son ouvrage Les Grands Traducteurs français, il considère ainsi : « Il a fallu attendre le XXe siècle pour que la radio et le cinéma rappelle la vitalité de la parole articulée, il a fallu la technique impressionnante des congrès internationaux pour que le public sente qu’une forme orale de traduction peut exiger des vertus et un art non moindres que ceux qui s’attachent aux formes écrites. » Dans Comment faut-il traduire ?, il pose toujours comme préalable à l’étude de la traduction la prise en compte de la diversité des genres qui représentent cette activité. « Mettant en valeur les qualités que l’exercice de sa profession exigeait au niveau de la performance, Edmond Cary n’oublia jamais parallèlement, de défendre de façon tangible les droits des traducteurs et des interprètes, de promouvoir une déontologie et un statut de la profession » souligne un historien(14)

Edmond Cary et les « belles infidèles »

Incluant la nouvelle traduction d’Autant en emporte le vent par Josette Chicheportiche, reprenant la version historique signée Pierre-François Caillé, plusieurs modernisations de textes « classiques » ont, en 2020, animé le monde de la traduction. Ainsi de la nouvelle traduction du 1984 de George Orwell, par Josée Kamoun. Sur le sujet, l’action militante d’Edmond Cary se retrouve visionnaire dans les actes du Congrès de la FIT à Bad Godesberg, en 1959 : « La traduction n’est pas un rapport simple (auteur-traducteur, original-traduction), mais une relation à trois termes : auteur-traducteur-lecteur, et il est vain de vouloir définir la qualité en négligeant ce troisième terme. […] Le public change, de pays à pays, d’époque à époque, de milieu social à milieu social. Lapalissade encore, mais constamment oubliée. Il est impossible de condamner a priori les « belles infidèles » d’un certain siècle et rien n’est plus risible que les appréciations de ceux qui s’imaginent en toute bonne foi avoir découvert le nec plus ultra dans la façon de traduire Homère. Ce sont les originaux qui ne vieillissent pas ; les traductions sont condamnées à vieillir, l’une après l’autre. […] le summum de la rigueur et de la fidélité apparaît comme une inadmissible fantaisie un siècle plus tard. »

1954

Un ordre des traducteurs ? Fin du débat.

C’est en 1954 à Paris, au premier congrès de la FIT qui réunit délégués venus de 18 pays, que s’achève un long débat ayant, dès ses origines, animé la jeune Société française des traducteurs. Faut-il comme le prônent certains, dont l’avocat René Lalou, créer un « ordre professionnel » ou bien s’en limiter, comme le défend Edmond Cary, à un syndicat ? Pour de multiples raisons, et après de longues consultations auprès de ses adhérents, la SFT a choisi la seconde solution. Un des orateurs au congrès de la FIT, expliquera ce choix ainsi : « La SFT est essentiellement un syndicat professionnel : il ne saurait être question pour elle de devenir une sorte de club destiné à ne défendre que les “meilleurs”, et son but consiste à revaloriser, à la longue, la profession toute entière pour, précisément, en éliminer les amateurs. »

Création de la revue Babel

C’est également en 1954, au premier congrès de la FIT à Paris qui est, selon les mots de Pierre-François Caillé, « la première et la seule revue internationale de la traduction et organe de liaison entre les traducteurs du monde entier. » L’idée de cette revue a été lancée par la délégation allemande de la FIT. Pierre-François Caillé et Walter Jumpelt en trouveront le titre, Babel, « La confusion des langues, l’anti-traduction. Le titre cependant sonnait bien ». Le but de cette revue est multiple : culturel, technico-scientifique et informatif, elle doit être une revue de fond, un instrument de travail, la tribune des traducteurs littéraires et scientifiques, une revue académique, destinée essentiellement aux traducteurs, interprètes et terminologues, mais pouvant intéresser également les non-spécialistes concernés par des questions et événements actuels. Le contenu de Babel couvre ainsi une multitude de disciplines : théorie et pratique de la traduction et de l’interprétation, pédagogie, technologie, histoire, sociologie et gestion terminologique. Une autre rubrique importante de cette revue présente des articles consacrés au développement et à l’évolution des professions de la traduction et de l’interprétation : nouvelles disciplines, croissance, reconnaissance, codes de déontologie, protection et perspectives.

 

 

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Photo : UNESCO/Dominique Roger 

Roger Caillois, le grand parrain

C’est l’un, sinon le parrain de la FIT. Agrégé de grammaire en 1936, à 23 ans, Roger Caillois a noué des amitiés littéraires toute sa vie durant. Proches des surréalistes dans sa jeunesse (Breton, Dalì, Éluard, Max Ernst), il collabora avec Aragon et Tristan Tzara autour de la revue Inquisitions, avec Georges Bataille dans la revue Acéphale, avec Michel Leiris au Collège de sociologie… Durant la guerre, il émigre en Argentine, ou il va diriger l’Institut français de Buenos Aires, tout en s’engageant pour la France Libre. De retour en France en 1945, il dirige chez Gallimard la collection « La Croix du Sud », spécialisée en littérature sud-américaine, traduit et publie les nouvelles fantastiques de Borges, publie Neruda ou Asturias. Nommé à l’UNESCO en 1948, il y dirigera la division des lettres, puis celle du développement culturel, s’occupant également de Diogène, revue littéraire indépendante subventionnée par l’UNESCO, publie dans La Nouvelle Revue française


Homme de lettres (15), y compris étrangères, Roger Caillois va utiliser son poids de haut-fonctionnaire international pour accompagner dans leur développement ses amis de la SFT, et sera de tous les premiers congrès de la FIT, soutenant financièrement la revue Babel. À Bad Godesberg, en 1959, il déclarait :
« Ce n’est pas par hasard que le métier de traducteur a vu son importance grandir dans la période contemporaine : […] le monde, qui devient géographiquement plus petit, devient en même temps culturellement plus grand […] à cause de la rapidité, de la régularité et de la sûreté des voyages […] à cause du volume, de la fréquence et de la variété des échanges. […] Les besoins en traduction ne cessent de s’accroître…»

 

Au 4e congrès de la FIT, à Dubrovnik en 196(16), Roger Caillois témoigne encore : « Je me souviens de la petite salle de l’avenue Kléber où vous avez commencé. […] La FIT s’est en effet étendue non seulement géographiquement, mais elle a gagé en poids, en portée. » Reconnaissant, Pierre-François Caillé écrira : « Dès leur fondation l’UNESCO a prêté son appui moral à la FIT et son soutien matériel à Babel. C’est assez dire tout l’intérêt que porte à notre mouvement le plus grand organisme culturel international […] De 1959 à 1963, nous avons obtenu le statut consultatif auprès de l’UNESCO et avons été chargé par cet organisme de rédiger un vaste rapport sur la situation du traducteur dans le monde. L’octroi de ce statut permit à la FIT de figurer parmi les organisations non-gouvernementales réunies périodiquement en conférences. »

 

 

1955

Parution du premier numéro du magazine Babel, organe trimestriel d’information de la FIT. Commentant la sortie de cette première revue internationale de la traduction dans le bulletin de la SFT d’octobre 1955, Pierre-François Caillé rappelle que : « En créant Babel, nous avons poursuivi un triple but : culturel, technico-scientifique et d’information. Nous avons voulu que pour chacun, dans tous les pays où elle sera lue, Babel fût une revue de fond et un instrument de travail. »

 

1956

IIe Congrès mondial de la FIT (Rome, 27 février‒3 mars).

 

Table ronde internationale des traducteurs venant des pays de l’Asie et du Moyen-Orient (New Delhi, 21‒23 novembre). Adoption d’une recommandation internationale en vue de promouvoir la traduction et le statut professionnel des traducteurs en Asie.

 

 

1957

La SFT, qui compte déjà 300 membres, salue l’adoption de la loi du 11 mars 1957 qui reconnaît en droit interne, comme depuis longtemps la convention de Berne au plan international, le droit d’auteur propre du traducteur, le respect de son droit moral (son nom devant figurer sur tout exemplaire publié) et sa vocation à une rémunération proportionnelle (le choix d’une rémunération forfaitaire n’appartenant qu’au seul traducteur, à l’exclusion de l’éditeur).

 

Affiliation de la SFT à la Confédération des travailleurs intellectuels, afin d’aider à réaliser plusieurs objectifs qui lui semblent seule, inatteignables (adhésion de ses membres « techniques » à la Convention collective des Ingénieurs et Cadres des Industries Métallurgiques, mécaniques et connexes, faire appliquer effectivement les dispositions de la nouvelle loi de mars 1957 pour ses « littéraires »).

 

En avril 1957, dans les pages de la revue Traduire, il est reporté que, sous la houlette de Claude Noël, Service Liaison de la SFT a produit un petit miracle : l’opération « Orly ». Il s’agit d’une commande de traduction de 26 manuels techniques, pour laquelle une organisation américaine s’adresse à la SFT afin d’obtenir des garanties de qualité. Problèmes juridiques, recrutement de 20 traducteurs et réviseurs, suivi et édition des traductions, cette commande nécessita de la part de la SFT et de Claude Noël la mise sur pied d’une organisation considérable pour exécuter le contrat à la date dite, assurant un gain de 200 000 FF au syndicat. « Le fait que ce travail ait été demandé à la SFT en tant qu’organisme responsable et compétent […] inscrit dans sa modeste histoire une date et prouve son accession l’âge adulte. » sera-t-il dit par le Comité directeur de la SFT.

 

 

1958

Les représentants de la FIT rencontrent à Luxembourg ceux de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA, ancêtre de la CEE) afin d’étudier les moyens d’améliorer le recrutement des traducteurs et de rationaliser les recherches bibliographiques et lexicographiques.

 

 

De 1940 à 1950

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De 1960 à 1970

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